Dire que la Loi 96 a bouleversé le paysage linguistique québécois serait presque en deçà de la réalité. Adoptée en 2022, elle redessine les contours de la vie professionnelle, juridique et sociale en imposant le français comme pivot central, du service client aux échanges devant les tribunaux. Désormais, les entreprises, même celles qui relèvent de la compétence fédérale, doivent ajuster leurs pratiques pour répondre à cette nouvelle donne. L’anglais se voit relégué à un rôle bien plus discret, tandis que chaque interaction officielle s’inscrit dans la langue de Molière.
Les règles de francisation s’appliquent dès que le seuil de 25 employés est franchi. Les sociétés doivent désormais démontrer que le français domine dans toutes leurs communications, internes comme externes. Et gare aux récalcitrants : la loi prévoit des sanctions financières et administratives qui laissent peu de place à l’improvisation.
La loi 96 au Québec : origines, objectifs et portée
Le projet de loi 96 s’inscrit dans la continuité de plusieurs décennies de mobilisation pour la langue française au Québec. Sous l’impulsion de la coalition avenir Québec et de François Legault, la Charte de la langue française ou loi 101 est entièrement revisitée. L’objectif est sans ambiguïté : renforcer la place du français dans toutes les sphères de la société québécoise, des institutions publiques jusqu’au secteur privé.
Face au recul du poids démographique des francophones et à la montée de l’anglais, le gouvernement resserre l’étau. Les domaines de la justice, de l’éducation, de l’économie et du monde du travail sont directement concernés. Une vingtaine de textes législatifs sont revisités pour donner corps à cette réforme d’ampleur.
L’onde de choc ne s’arrête pas aux rives du Saint-Laurent : des débats s’enclenchent à Ottawa, les prises de position politiques se multiplient, chacun défendant sa vision du rapport entre langue, identité et commerce. Chacun des chefs politiques manifeste clairement sa position sur la défense du français.
Voici les deux axes fondamentaux de ce texte :
- Entrée en vigueur progressive : l’application de la loi s’étale de juin 2022 à juin 2027, ce qui donne le temps aux organismes et aux entreprises de s’adapter.
- Francisation renforcée : le niveau d’exigence monte pour toutes les parties touchées, du monde du travail à la justice.
En filigrane, le Québec cherche à préserver la prédominance du français, quitte à bousculer les mécanismes habituels du marché du travail et à soulever de nouveaux enjeux sociétaux.
Quelles sont les principales mesures introduites par la législation ?
Avec la loi 96, les règles du jeu changent en profondeur pour les entreprises, les institutions et la population. Dès 25 salariés, une société doit se déclarer auprès de l’office québécois de la langue française (OQLF). À partir de 100 employés, il faut mettre en place un comité de francisation chapeauté par l’OQLF. Tous les documents, contrats, communications offerts à la clientèle ou diffusés en interne doivent impérativement exister en français. C’est la version française qui prévaut sur toute traduction, sans ambiguïté.
Pour l’affichage, la donne évolue aussi. Le français doit être nettement en évidence, y compris devant les marques de commerce qui, sauf exception, doivent afficher une traduction sur les produits et devantures. Cela garantit au consommateur un accès à l’information et au service dans la langue de la majorité.
Pour les employeurs, la flexibilité linguistique se réduit. Désormais, il n’est permis d’exiger la connaissance d’une autre langue que si cela est sérieusement justifié, argumenté et documenté. En cas de non-respect, l’OQLF peut diligenter des inspections, infliger des amendes allant de 3 000 à 30 000 dollars, suspendre des certificats ou imposer le retrait d’un affichage non conforme.
Les tribunaux s’alignent : chacun a droit à l’audience et au service en français, et les litiges relatifs à la langue peuvent être entendus avec célérité, à l’initiative des travailleurs ou des consommateurs concernés.
Entreprises, citoyens : quels impacts concrets au quotidien ?
La loi 96 redéfinit le quotidien des sociétés comme des citoyens. Pour les entreprises, actions concrètes à la clé : chaque échange, interne ou externe, doit respecter la primauté du français, qu’il s’agisse d’e-mails, de signalisation, de conventions. L’OQLF multiplie les contrôles et veille de près au respect des nouvelles exigences. Les structures de 25 employés et plus enregistrent leur dossier auprès de l’Office, celles qui dépassent 100 membres installent un comité de francisation.
Pour les salariés, la montée en puissance du français au travail est nette. Impossible d’imposer systématiquement l’usage de l’anglais ou d’une autre langue sans raison solide. Les critères de recrutement et les missions évoluent, notamment dans les entreprises ouvertes à l’international. Le français redevient la règle, sans pour autant faire disparaître la valeur ajoutée des profils bilingues.
Côté consommateurs, l’expérience tend à devenir homogène autour du français. Les produits, les notices, la documentation, les vitrines : tout passe par la langue officielle, d’abord et avant tout. Si ces droits ne sont pas respectés, il est désormais plus simple d’entamer une procédure devant les instances compétentes. Les tribunaux s’ajustent, offrant un accès au français à chaque étape administrative ou judiciaire.
Pour mieux cerner l’effet de cette réforme, on peut résumer ses impacts comme suit :
- Sanctions : en cas de manquement, les sanctions tombent, qu’il s’agisse de pénalités financières, d’injonctions ou de suspension d’agrément.
- Services : la clientèle doit être informée et servie en français en toutes circonstances.
- Emploi : les exigences sur la maîtrise d’autres langues deviennent nettement plus encadrées et exceptionnelles.
Ressources et conseils pour mieux comprendre et se conformer à la loi 96
Mettre en œuvre la loi 96 suppose de l’organisation et de l’anticipation. L’OQLF reste la ressource centrale pour toute question de conformité ou de procédure. Son site propose guides, webinaires et FAQ détaillés, afin d’aider chacun à s’y retrouver plus facilement dans les méandres du projet de loi 96.
De nombreuses entreprises privées se positionnent pour accompagner les acteurs économiques dans cette transition. Preply Business conçoit des programmes pour renforcer la maîtrise du français dans les équipes. ITC Global conseille et outille les organisations souhaitant aligner leurs pratiques ou mettre à jour leurs documents. L’industrie automobile, par exemple, dispose de fiches pratiques publiées par ses associations.
Pour les documents sensibles ou nécessitant une traduction officielle, l’OTTIAQ (ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec) est la référence, notamment lors des audits de conformité ou face à l’administration.
Voici quelques réflexes à adopter pour rester à jour face à cette législation :
- Consultez régulièrement les guides pratiques élaborés par l’OQLF, adaptés à chaque secteur.
- Misez sur des formations en communication interne ou en rédaction contractuelle pour vos équipes.
- Surveillez les différents jalons fixés dans le temps : certaines obligations apparaîtront en 2024, d’autres n’entreront en vigueur qu’en 2025 ou 2027.
Sur le terrain, c’est toute une dynamique qui s’amorce : que l’on soit acteur privé, salarié ou citoyen, il s’agit désormais de composer chaque jour avec cette législation. Le français, loin d’être seulement un enjeu identitaire, redevient ainsi la norme du Québec contemporain. Qui basculera, qui s’adaptera, et comment le visage linguistique de la province évoluera-t-il dans la décennie à venir ? Les réponses se dessineront, document après document, contrôle après contrôle, dans les gestes quotidiens des Québécoises et Québécois.

